Apprendre la Mandoline:
Les exercices répétitifs
Par Jean Comeau
Répétez après moi: mais ou et donc car ni or...
Que ce soit pour l'apprentissage des langues, la mémorisation de tables de mathématiques, la maîtrise de gestes reliés à la pratique d'un sport ou la pratique d'un instrument de musique, le recours à des exercices répétitifs de type «drill» semble inévitable. Par contre, à la suite de récentes recherches sur les mécanismes d'apprentissage, on sait fort bien que cette pratique est contestée. Si l'exercice répétitif peut sembler souhaitable dans la poursuite de certains apprentissages, dans d'autres circonstances il peut s'avérer très peu rentable si ce n'est carrément nuisible.
Pour l'apprentissage des langues, ça se fait de moins en moins; on préfère de beaucoup les exercices d'association du type image—mot ou le développement de structures. Ânonner des tables ou des formules de mathématiques ne permet absolument pas la compréhension. Répéter inlassablement un geste pour ensuite le transposer dans un sport ou une pratique artistique ou artisanale quelconque n'entraîne très souvent que fatigue, douleurs et blessures.
Répétez après moi: fa, do, sol, ré, la, mi, si...
Mais là où cette pratique semble peu contestée, c'est dans la pratique d'un instrument de musique. Les gammes que l'on répète ad nauseam, ces tortures digitales qu'on s'inflige de manière un peu masochiste, ces formules mélodiques que l'on reprend encore et encore valent-elles l'effort déployé? Examinons les résultats pour vérifier.
Prenons comme exemple le tremolo à la mandoline, technique indispensable s'il en est une. Si on examine les méthodes d'apprentissages depuis le milieu du XIXe siècle, on constate que la plupart suggèrent de développer le tremolo d'abord à travers des notes isolées, puis des gammes, ensuite par de courtes pièces lentes qui deviennent de plus en plus rapides à mesure que l'on tourne les pages. Au plan méthodologique, c'est l'équivalent des verbes qu'on conjugue à tous les temps de tous les modes ou des listes de vocabulaire qu'on récite et qu'on épelle croyant naïvement que cette pratique permettra le réinvestissement dans la pratique courante.
Ça marche parfois mais pas tout le temps!
L'exercice répétitif n'est pas inefficace! Mais la surprise nous attend au détour. Prenons l'exemple suivant: une pièce d'Alison Stephens appelée Polly's Variations. Un thème de huit mesures est exposé; une première variation est constituée de croches et noires, comme l'exposition du thème; tout ça sans tremolo. À la deuxième variation on passe d'une mesure 4/4 à 3/4 et on commence la formule suivante:
Il n'est absolument pas garanti que le trémolo sur ce do et sur ce sol soit à son meilleur si on s'est limité à travailler la technique par des gammes et des mélodies entièrement jouées en tremolo. La surprise qui risque de nous faire rater cette note vient du contexte. On sait tous que, dans une phrase musicale en tremolo, les deux notes qui risquent le plus d'être imparfaites sont la première et la dernière; jouer en tremolo est une chose, attaquer un tremolo une autre et terminer un tremolo une toute autre. Certains auteurs de recueils d'exercices contemporains l'ont bien compris d'ailleurs (Voir le Mandolin Companion p.50)
Pratiquer en contexte, c'est quoi?
L'erreur qu'on fait trop souvent en apprentissage c'est de croire qu'en tapant davantage sur un clou enfoncé on saura comment le retirer lorsqu'il le faudra. Quand le contexte change, les acquis ne valent plus. Si je suis très performant en lecture à vue, ça ne garantit pas mes compétences en dictée!
Lorsqu'on joue un trait musical en coups de plectre alternés, le piège est toujours au changement de corde: jouer bas—haut—bas—haut—bas constitue un contexte qu'il faut maîtriser; jouer bas—haut—bas—haut—bas—changer de corde—??? demande réflexion et maîtrise d'une nouvelle habileté. L'exercice idéal est donc celui qui met l'accent sur une particularité technique mais qui oblige l'exécutant à aborder cette difficulté dans le plus de contextes possibles.
Et la solution?
Il n'est donc pas très sage de pratiquer les différentes techniques uniquement par des exercices répétitifs. Heureusement, certains compositeurs qui sont aussi d'admirables professeurs, composent des pièces qui mettent l'accent sur un aspect technique mais tout en plaçant cette difficulté en contexte. Entre autres Marlo Strauß et Alison Stephens ont cette générosité envers ceux qui apprennent la mandoline.
Une Trilogie de Alison Stephens
La trilogie d'Alison Stephens, Six Episodes, Six Excursions, Six Adventures, publiée chez Astute Music ( disponible en format papier et en pdf) demeure un modèle à suivre pour la composition d'outils d'apprentissage. Il s'agit de 18 solos pour mandoline, de styles très variés mais tout aussi charmants les uns que les autres, qui peuvent très bien être présentés comme pièces de concert. Chacune des pièces s'attaque à un élément technique bien particulier mais, ce qui est merveilleux, en le plaçant toujours en contexte. On y retrouve des mélodies avec accompagnement et des pièces à plusieurs voix, des pièces en 2e et 3e position, des techniques d'arpège, des mélodies en accords et en doubles cordes, des harmoniques et du pizzicato, des ornements et, bien évidemment, la reine des techniques romantiques, le tremolo-staccato (duo-style).
On n'a pas tout réglé!
Travailler « en contexte » n'élimine pas la nécessité de pratiquer de manière systématique par des exercices répétitifs, de la « drill ». Par contre, en plus de rendre la pratique plus agréable et plus motivante, le travail « en contexte » permet de juger de notre maîtrise des diverses techniques dans de « vraies »pièces. L'exercice répétitif (drill) demeure toujours une situation artificielle.
Nous ne sommes que rarement dans des situations comme dans le Prélude no. 2 de Marlo Strauß (Sechs Präludien) dans lequel il faut répéter le même pattern 259 fois, toujours régulier, en variant les nuances, les registres, faire « chanter » les notes basses et rendre les aigües plus discrètes et tout ça, Allegro! Là, il faut vraiment avoir travaillé en répétition, « en contexte » et probablement davantage!
Jean Comeau pour Mando Montréal
Jean Comeau a étudié le piano, et s'est adonné aux Concertos de Chopin. Il a également touché à la composition sérielle, la flûte traversière, l'orgue et le chant. Professeur de français et de théâtre au secondaire, il a fondé la compagnie de théâtre du Bateleur pour laquelle il a écrit, composé, confectionné des costumes et construit des décors pendant 17 ans. Professeur à la retraite, Jean s’adonne mainteneant à temps plein à sa passion : la mandoline.